Hugo Pratt: RENCONTRE AVEC LELE VIANELLO

dimanche 10 avril 2011

RENCONTRE AVEC LELE VIANELLO

Membre du club de jeu des grands garçons et fils de la lagune par Florian Rubis

Lele Vianello et Florian Rubis dans l'atelier
du dessinateur à Venise (de g. à d.)
©Florian Rubis

En mai 1993, un voyage effectué aux Antilles pour le compte d’Hugo Pratt m’a conduit à naviguer au-dessus du récif corallien englouti de Misteriosa Bank. Les besoins dans le domaine de la recherche documentaire du très imaginatif dessinateur m’y ont fait connaître, pour de vrai, des péripéties dignes de la fantaisie qu’il déploie dans les aventures de Corto Maltese.

J’y ai tutoyé ce « jeu de grands garçons », invoqué dans son roman de chevet, L’Île au trésor de Robert Louis Stevenson, par Jim Hawkins. Il le fait par contraste avec les amusements tranquilles de son enfance, après avoir échappé à la mort des mains du terrible timonier Israel Hands. Ce dernier exista réellement, complice du fameux Barbe Noire. Cayman Brac, l’une des trois îles Cayman, qui me servirent alors de base de départ, fut l’un de ses repaires. Rentré en Europe, je devais faire la connaissance d’un barbu autrement plus sympathique.

Je retourne y voir Hugo Pratt dans sa maison suisse de Grandvaux. Comme nous en avions l’habitude, il s’agit de faire le point sur ce périple et de lui remettre les photos prises à son sujet, les cartes maritimes et nombreux livres acquis alors sur la piraterie et les régiments coloniaux britanniques des West Indies. Le dessinateur attend également de ma part un récit circonstancier de mon « odyssée » et de ses rebondissements.

Or, cette fois, se trouve aussi en visite à Grandvaux un ami vénitien, son assistant pendant vingt-cinq ans et disciple : Raffaele « Lele » Vianello. Un détail d’importance me l’a rendu immédiatement sympathique : l’empressement juvénile avec lequel ce gaillard barbu, doté d’une grande sensibilité, se mit à lire et à faire le tri avec nous des livres sur la flibuste rapportés au « Maestro ». Comme le père de Corto Maltese, il a su conserver à l’âge adulte son âme d’enfant. Nous sommes amis depuis ce jour.

Avec Lele Vianello, comme avec Hugo Pratt auparavant, je partage la même culture du voyage ou un goût identique pour la littérature d’aventures ou l’Histoire. Ils furent, avec Guido Fuga, autre assistant et ami du « Maestro », mes initiateurs concernant la découverte de leur chère Venise et de ses replis les plus secrets. Lele, narrateur hors pair, est intarissable sur les « pèlerinages laïques » qui l’ont conduit, en compagnie d’Hugo Pratt, sur les traces, par exemple, de Butch Cassidy et du Sundance Kid en Patagonie ou du révolutionnaire libertaire Buenaventura Durruti en Catalogne. Ce fin cordon bleu m’a fait aussi connaître les subtilités de la cuisine de la Cité des Doges, riche des influences et condiments ramenés du monde entier par les pérégrins Vénitiens. De surcroît, il se montre, dès que l’occasion se présente, un excellent musicien et expert de leur patrimoine chanté et autres barcarolles. Comme pouvait l’être le « Maestro ». Malamocco, au bout du Lido, connut jadis une importance historique comparable à Venise ou à Torcello. C’est le petit coin de paradis de ce fils de la lagune. Silvina Pratt, fille de l’auteur de Corto Maltese, qui y fut inventé en 1967, le décrit merveilleusement dans Avec Hugo et dit tout le bien qu’elle pense de l’ami Lele.

Ce dernier poursuit en Italie sa carrière de dessinateur et va publier avec Guido Fuga un nouvel album en français : Cubana (Éditions Mosquito, mai 2011), suite « non officielle » de Sven/L’Homme des Caraïbes d’Hugo Pratt. Nous nous revoyons le plus souvent possible : dans la Cité des Doges, bien sûr, ou dans les festivals, comme cet été, lors du Pratt Day de celui de Rimini. L’envie de traiter en bandes dessinées de nos sujets de prédilection, cultivés au contact du « Maestro », se révèle plus forte que jamais. Nous y travaillons !

Florian RUBIS

Une épave de navire naufragée au large des îles Cayman photographiée en 1993
par Florian Rubis lors d'un de ses voyages effectués pour Hugo Pratt
© Florian Rubis