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dimanche 10 avril 2011

HUGO PRATT A GRANDVAUX

Hommage au tisseur de rêves dans son antre suisse par Florian Rubis


Hugo Pratt à Paris en 1990
©Florian Rubis
Les happy fews, quelques heureux privilégiés, habitués de la maison helvétique d’Hugo Pratt, située dans les coteaux à vignobles de Grandvaux, sur les hauteurs des bords du lac de Genève (ou Léman), le savaient bien. Pour la rejoindre depuis la gare de Lausanne, outre le train, il existait une autre option, quasiment rituelle : les taxis conduits par ses compatriotes. Leurs chauffeurs connaissaient tous son adresse. Ils faisaient songer aux personnages d’émigrés transalpins de ces comédies à l’italienne des années 1970, aux répliques si savoureuses. Parmi eux, le dessinateur, cet autodidacte réfractaire à l’obtention de diplômes, y compris le permis de conduire, était connu comme le loup blanc !



Avec l’hôtel Esmeralda à Paris, en regard de Notre-Dame, cette villa, aujourd’hui revendue à un architecte canadien, constituait notre autre point de ralliement. Elle date des années 1960, répartie sur trois niveaux. Le plus bas avait été aménagé tardivement, pour accueillir le spacieux atelier et studio de travail de l’auteur de Corto Maltese. Je l’y revoyais lors de la préparation ou du retour de divers voyages de recherche documentaire qui devaient faciliter l’élaboration de ses bandes dessinées à la fin de sa vie. Je donne plus de détails à ce sujet dans Hugo Pratt ou le sens de la fable. L’ouvrage est agrémenté d’anecdotes, pour avoir notamment observé ce cocasse personnage jusque dans son intimité domestique, prérogative rare.


Hugo Pratt à Paris en 1990
©Florian Rubis

Hugo Pratt avait élu domicile au milieu des 30 000 livres acquis au cours de vie, dont l’autodidacte avait fait son principal moyen de connaissance et d’inspiration. L’endroit reste essentiellement dans ma mémoire moins comme une maison qu’une immense bibliothèque, paraissant issue d’un onirique conte-nouvelle de Jorge Luis Borges. Aux prolongations étendues, puisqu’elle comptait des « succursales », à Rome ou à Malamocco, au Lido de Venise. Avec d’autres, j’ai contribué à l’alimenter, par des achats d’ouvrages dont m’a chargé son propriétaire : une tâche que j’appréciais, pour n’être pas moins bibliomane que lui. Quand il me faisait l’honneur de m’accueillir, j’ai passé des soirées à déambuler avec délectation parmi les rayons de livres de ses différentes pièces. J’y ai « picoré » des lectures formatrices, à commencer par les volets qui me manquaient de Terry et les Pirates de son maître américain dans la bande dessinée : Milton Caniff.


 En dehors de l’atelier-studio de dessin du sous-sol, l’autre centre névralgique de la demeure était constitué par le grand salon, réceptacle de la perpétuation de la pureté perdue de son enfance. Hugo Pratt en avait toutefois conservé la capacité à s’enchanter et il l’a célébrée au moyen des milliers de planches de son œuvre de papier. Il s’entourait là des éditions, exposées bien en évidence, des grands romans d’aventures qui continuaient à l’inspirer depuis lors, tels L’Île au trésor de Robert Louis Stevenson ou NorthWest Passage de Kenneth Roberts. Nous nous y installions pour de longues séances de travail, que lui agrémentait d’une grande lampée de whisky ou, après avoir allumé une cigarette, en s’amusant à produire de délicats ronds de fumée !


Depuis sa mort, en 1995, lorsque je repasse par Grandvaux, je ne manque pas de m’arrêter dans son cimetière. Le détour n’est pas triste. Puisque j’y renoue avec l’habitude des « pèlerinages laïques » que pratiquait le père de Corto Maltese. Il rendait ainsi hommage sur leur tombe à ceux qui l’avaient inspiré. Tout juste n’étais-je pas pressé, pour ce qui le concernait, de m’y rendre. Néanmoins, la première fois que je suis revenu en Suisse pour m’acquitter, selon son expression, de ce rite « crépusculaire », j’ai acheté une bouteille du vin produit dans les vignes qui entourent le lieu de sépulture d’Hugo Pratt. Ayant décidé que celle-ci revêtait une importance spéciale à mes yeux, je ne la déboucherai jamais : elle est exposée dans mon salon, en souvenir des bons moments passés à Grandvaux…


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La Casa di Corto

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Photo La Casa di Corto

© Photo Max François

Silvina Pratt

Silvina Pratt
AVEC HUGO - Silvina Pratt (avec José-Louis Bocquet), collection « Pop culture », Ed. Flammarion, 2005

Florian Rubis

Florian Rubis
Hugo Pratt ou le sens de la fable © 2009, F. Rubis; Ed. Belin

Paru en mai 2011

Paru en mai 2011
©2011 L. Vianello, G.Fuga et Ed. Mosquito

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